Une journée de travail animée et riche avec les principaux responsables Région et Etat de la future S3 du Languedoc-Roussillon permet de bien voir que l’heure de vérité approche ! En effet, dans cette région, comme dans la plupart de celles que je connais, un travail formidable a été effectué à propos des thématiques et des domaines d’activités stratégiques. Le résultat est une excellente cartographie on va dire - de domaines d’activité, à un niveau de granulométrie pertinent. Il résulte de cet exercice en Languedoc Roussillon une quarantaine d’items identifiés dans le cadre d’un processus de consultation et d’analyse très approfondies – chaque item étant aussi analysé grâce à une approche multifactorielle originale et très informative. Le problème suivant est : qu’est-ce qu’on fait avec ces 40 domaines ? La tentation est de les regrouper pour arriver à 8 – 10 domaines. "Génial car on est dans les clous : on a nos 10 priorités et en plus tout notre système est dedans ! C’est magique ?" Pas tout à fait d’accord !
En fait regrouper la quarantaine de domaines en 8-10 super-domaines- ce que toutes les Régions ont tendance à faire - peut être utile. C’est un exercice très utile quand il est fait NON PAS pour produire le nombre magique (5, 6 ou 10) tout en incluant tout le monde mais pour mettre au jour des synergies et des liens plus ou moins cachés entre des activités dont le regroupement dans un domaine unique a un sens sur le plan de l’innovation et peut donc amener une nouvelle perspective. Par exemple, dans la mesure où le thème « capteurs, TIC, interface HommeMachine » s’appliquent également à l’environnement, l’agro, la santé, la logistique, le tourisme, pourquoi ne pas avoir une activité « capteurs-TIC IHM et toutes ses applications » plutôt que 5 ou 6 thématiques séparées ? Dans ce cas, le regroupement est tout à fait légitime car sa rationalité est forte en termes de dynamique de l’innovation, synergie, spillovers, etc. Mais dans d’autres cas, les regroupements sont plus suspects et correspondent plus au souci de réduire le nombre de thématique sans exclure personne ! (Chaque région se reconnaîtra un peu dans cette stratégie!).
L’exercice d’agrégation qui a permis de passer de 40 à 10 n’est donc pas inutile car il peut permettre – comme dans le cas « capteur – TIC - IHM » - de lier plusieurs brindilles pour en faire un fagot (expression d’Aquitaine !). Le cas « capteur- TIC - IHM » est excellent car on voit que le lien (qui attache les brindilles ensemble) n’est pas factice ou purement politique. Dans d’autres cas…
Mais même là où le regroupement semble rationnel et raisonnable du point de vue de la dynamique d’innovation, cela ne nous épargnera pas de procéder à l’étape suivante qui est celle de l’identification, la détection voire la construction des projets de découverte entrepreneuriale qui se trouvent potentiellement au cœur des 8-10 grands thèmes. Dans certains cas, ces projets pourront ressortir des assemblages de sous-thèmes (qui sont apparus grâce à l’exercice d’agrégation précédent), dans d’autres cas non ! C’est le moment de vérité car il s’agit d’appliquer des critères pertinents et transparents pour identifier les 8-10 projets de la S3 à partir du travail d’analyse effectué mais sans que ces 8-10 projets ne relèvent que de montages et d’assemblages artificiels qui au bout du compte ne reflèteraient qu’un travail d’agrégation et non pas les dynamiques entrepreneuriales.
Je propose donc en urgence de réfléchir collectivement à ces critères. Avant (je dis bien avant) d’entrer en réunion ou en atelier pour écouter une multitude de porteurs de projets, chacun pensant en toute bonne foi que le sien est le meilleur, il faut que cette liste de critères soit établie et déjà connue de tous. Aquitaine applique sa méthode des 7C (je leur laisse le soin de la présenter s’ils le souhaitent sur ce blog). Un rapide brainstorming en Languedoc Roussillon a conduit à la liste de questions suivantes, qui à mon avis permettra d'éliminer nombre de candidats à la S3:
- Quelle est la proximité du projet à l’innovation et au marché ? On n’est pas dans la recherche fondamentale ; les applications doivent être à la portée de ce projet.
- Est-ce que ce projet ouvre un nouveau domaine potentiellement riche en innovations futures ? Idée de changement structurel, on ne prioritise pas une « simple » innovation, renouveler le système, le diversifier c’est explorer et ouvrir de nouveaux domaines.
- Quel est le degré collaboratif (ou collectif) du projet ? On ne prioritise pas une entreprise individuelle mais une activité qui rassemble un certain nombre d’acteurs ; lesquels peuvent d’ailleurs être en concurrence (point important).
- Le financement public est-il nécessaire ? Il faut savoir renoncer à des projets « qui feraient bien dans la vitrine » mais qui sont tellement bons qu’ils seront accomplis de toute façon par les acteurs concernés. Quand on finance avec les deniers publics ce type de projet, on appelle cela « picking the winners » ; ce qui indique que l’on a gaspillé un peu (car le gain marginal que ce projet obtiendra avec le financement public sera sans doute très inférieur au gain marginal qu’un projet plus risqué et moins évident obtiendrait avec le même financement).
- Quel poids économique futur, quelle signification pour l’économie de la région ? Il faut que l’objectif visé, le point d’arrivée du projet ait une traduction économique significative (on peut avoir des projets de grande qualité mais tellement pointus et isolés que « leurs résultats même excellents ne se verront pas dans les statistiques » (pour reprendre une partie d’une expression célèbre de Bob Solow, Prix Nobel d’économie !)
- Quelle est la capacité du territoire à bien entourer ou arrimer l’activité nouvelle au système régional de sorte que celle-ci ne s’en aille pas à la première offre d’achat venue; auquel cas la S3 n’aurait financé que le développement d’une activité dont les gains principaux seront répartis ailleurs ? Le syndrome « innovation here, benefits elsewhere », bien décrit par mon collègue Manuel Trajtenberg, pointe un vrai problème et donc la capacité à résister à la délocalisation d’actifs précieux est un vrai critère. Un projet qui se construit sur la base de fortes complémentarités régionales aura plus de chance de rester qu'un autre plus isolé.
- Ce projet peut-il de façon réaliste conduire la Région vers une situation de leader dans le domaine/la niche considérés ? L’idée qui était vraiment au départ de la S3, telle que pensée par Foray, David and Hall, était effectivement de transformer chaque région en leader mondial (au moins européen !). Leader ? Oui..mais non pas dans une technologie générique TIC/nano/bio ; ce qui serait tout à fait utopique mais au niveau de granulométrie qui permet précisément la définition fine des domaines où ce leadership est possible (à condition de rassembler, concentrer, impulser, etc..)
Voilà la liste établie à Montpellier ; merci à tous ceux qui y ont contribué. Elle est bien entendu imparfaite et incomplète ; donc à vos claviers ! Encore une fois, c’est un exercice capital pour passer de façon rationnelle ET transparente de la phase d’identification et d’analyse des thématiques à la phase de prioritisation des projets.